Enquête régionale : Bretagne
Le choix de la Bretagne comme terrain d’enquête principal est fondé à plusieurs titres. Les élus et acteurs locaux de ce territoire montrent depuis quelques années des signes forts de mobilisation sur cette question, étant déjà fortement sensibilisés aux questions de santé environnementale (eau, algues vertes, pollutions d’origine agricole…).
On présente ici les premiers résultats, exploratoires et à confirmer, de l’enquête entamée en 2013.
Mobilisation et mise en œuvre de la politique de l’air intérieur en Bretagne
Force est le constater : les mobilisations spontanées sur la thématique de l’air intérieur sont faibles et presque inexistantes pour l’instant. Ceci ne signifie pas absence de mobilisation mais prévalence des actions institutionnelles sur des éventuelles prises de conscience individuelles qui demeurent peu visibles : la mobilisation actuelle reste marquée par un processus descendant, c’est-à-dire que les collectivités territoriales et les acteurs institutionnels se mobilisent sur cette question et tentent de mobiliser à leur tour les acteurs locaux. Or, loin de la notion de réaction à une injustice ou de la dénonciation d’un scandale, le répertoire des collectivités territoriales est axé sur la prévention des conflits et orienté vers des activités d’information du public et de veille. Ce répertoire d’action étant très spécifique, l’investigation d’AIRIN gagne à porter centralement sur les différents registres employés pour sensibiliser l’opinion.
Par exemple, il est utile de comprendre comment les informations relatives à ce problème sont mises en forme et comment les réceptions des populations ciblées sont prises en compte. À ce jour, notre enquête a eu pour objectif de repérer les acteurs qui ont pris en charge cette problématique au niveau breton depuis une dizaine d’années.
Deux constats semblent s’imposer à la fin de cette première exploration sur le terrain breton. Tout d’abord, la mise en œuvre de cette politique d’air intérieur s’appuie sur des réseaux d’acteurs déjà fortement ancrés dans d’autres problématiques.
Ensuite, les mobilisations de santé environnementale réclament la construction d’un lien de causalité entre pathologies et exposition à des substances toxiques. Or, dans le cas des pollutions de l’air intérieur, ce lien demande encore un travail de mise en liaison, articulant des éléments d’objectivation de la pollution avec des pathologies qui sont peu stabilisées et peu reconnues socialement.
A partir des données déjà disponibles, nous pouvons dans un premier temps décrire la mise en réseau au local de la politique de l’air intérieur dans un contexte dans lequel un référentiel de santé environnementale commence à réunir les acteurs de la santé et de l’environnement sur un territoire. Mais ces acteurs doivent agir tout en devant également construire la légitimité de leur démarche dans un contexte où la politique de l’air intérieur passe par des normes techniques et une démarche d’information du public.
L’analyse préliminaire de leurs discours montre ainsi une tension entre des thématiques proches des causes traditionnelles (dévoilement de scandales sanitaires) et celle de la mobilisation institutionnelle, centrée sur l’information et la sensibilisation.
La mise en réseau au local d’une politique
Au terme de la première série d’entretiens, un paysage d’acteurs mobilisés commence à se dessiner. Nous allons citer ceux qui nous apparaissent clés pour la mise en œuvre de la politique publique au local, ceux qui se saisissent du dossier et se l’approprient. À ce stade, on ne peut qu’être prudent. Toutefois, on peut considérer que la politique d’air intérieur passe essentiellement par des intervenants issus de l’administration déconcentrée, de certaines collectivités territoriales et du milieu associatif : ADEME, délégation Bretagne ; ARS sur le volet santé environnementale ; Maison de la Consommation et de l’Environnement (MCE). Il faudrait compléter ce tableau avec des acteurs évoqués mais non encore interrogés : la DREAL Bretagne (services régionaux du Ministère de l’Ecologie) ; des chercheurs de l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) ; des acteurs clés du secteur médical comme « Cap Air », le pôle santé/environnement à Brest ou encore des personnels de certaines cliniques rennaises.
D’autres acteurs ignorés au commencement de l’enquête apparaissent également avec un rôle moins central mais aussi réel que les précédents : un réseau d’entreprises de personnels de ménage à domicile ; le réseau des Mutuelles qui s’engagent à soutenir des manifestations de prévention et d’information en matière de santé publique ; des personnels ayant en charge l’accueil de public comme le personnel éducatif ou de la santé, qui sont cités comme des acteurs clés de relais à la fois en termes de sensibilisation que de généralisation de bonnes pratiques en matière d’air intérieur ; des entreprises (« Empreintes ») qui proposent de l’éco-conseil en habitat, rare exemple d’intervenant mobilisé dans le monde du bâtiment ici alternatif (relayé notamment par la MCE) ; d’autres associations diffusant les outils de sensibilisation touchant les enfants (malle pédagogique « Petits débrouillards » en association avec Capt’air). Certaines connexions apparaissent entre ces acteurs (ARS, REEB (Réseau de l’éducation à l’environnement Bretagne) et relai 35 du réseau École et Nature par exemple). Aussi, l’enquête a peu à peu ouvert un autre champ d’investigation au-delà des acteurs qui prennent en charge directement le dossier.
Par contre les nombreux litiges liés à des questions de santé environnementale, en Bretagne comme à Rennes, n’ont pas d’équivalent dans le domaine de l’air intérieur. Cette donnée de contexte nous permet de veiller à replacer cette question de la pollution de l’air intérieur dans un paysage plus large de mobilisations en matière d’environnement.
Une piste à explorer serait d’interroger la variété des mobilisations institutionnelles observées localement en croisant l’articulation entre l’action descendante de l’État et ces entreprises à la fois morales, politiques et économiques. Ceci viserait notamment à dépasser les constats des travaux existants qui restent attachés à une comparaison avec les problèmes de santé- environnement des années 90 caractérisés par une forte mobilisation, des configurations de type « scandale », avec un poids massif des « révélations » médiatiques, etc. La comparaison de nos situations « non scandaleuses », faiblement saillante à l’aune de ces mobilisations critiques conduit à les apprécier comme « confinés », « dispersés », ou « étanches », recourant à des métaphores spatiales qui dissimulent les dynamiques à l’œuvre, lentes mais effectives.